En Mer du Nord, des dizaines de tankers, cargos, bateaux de pêche et navires de croisière russes sont soupçonnés d’espionner les infrastructures stratégiques pour le compte de Moscou, selon une enquête menée par l’organisation néerlandaise Follow the Money, en collaboration avec les quotidiens économiques belges L’Echo et De Tijd.

Depuis février 2022, date du début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, au moins 167 navires commerciaux russes ont été impliqués dans des activités d’espionnage ciblant les réseaux câblés et les pipelines de la mer du Nord. Cette enquête a révélé que les mouvements de milliers de navires russes le long des côtes de l’Allemagne, de la Belgique, du Danemark, de la Norvège, des Pays-Bas et du Royaume-Uni ont été analysés. En avril, ces six pays ont signé une déclaration conjointe visant à élaborer un « pacte de sécurité » pour renforcer la surveillance et les échanges d’informations, en coopération avec l’OTAN et l’Union européenne. Ces efforts visent à protéger une zone critique abritant des champs gaziers et pétroliers, des parcs éoliens, ainsi que des câbles assurant les liaisons Internet et les télécommunications.

Les autorités possédaient déjà des données sur les mouvements récents d’une dizaine de bateaux militaires russes soupçonnés d’espionnage ou de sabotage. L’analyse des mouvements de milliers de navires civils a révélé que 167 d’entre eux ont effectué des manœuvres suspectes, comme des changements de trajectoire ou des mouvements à vitesse réduite près des installations critiques. Les activités douteuses ont atteint un pic en 2021, avec 684 incidents signalés, contre une trentaine en moyenne auparavant. Les explications fournies par les équipages de ces navires, telles que des erreurs de navigation ou des avaries, n’ont pas convaincu les autorités. Par exemple, début 2022, un navire de transport réfrigéré s’est immobilisé par beau temps au large du port d’IJmuiden, près de nombreux câbles électriques et pipelines. Quelques jours plus tard, un autre navire civil a répété cette manœuvre. En février, au Danemark, un porte-conteneurs de 172 mètres, le Transit-Tavayza, a lentement dérivé vers une zone sensible et aurait mené une mission d’observation sous-marine à l’aide de robots. Les navires russes déconnectent souvent leur système automatique d’identification (AIS) lorsqu’ils approchent de zones sensibles, un comportement suspect aux yeux des services de renseignement. De plus, certains navires modifient leur trajectoire pour se rapprocher de bâtiments militaires de l’OTAN, probablement pour renseigner Moscou sur leur localisation et leurs mouvements.

Les services de renseignement occidentaux surveillent désormais les mouvements de 5 602 navires civils russes, dont certains naviguent sous pavillon du Liberia, du Panama ou des Iles Marshall. Parmi eux, 1 500 se trouvent en mer du Nord. Certains de ces navires ne se livrent pas à l’espionnage, mais transportent des biens en violation des sanctions occidentales contre la Russie. Environ 436 des 1 000 navires ayant navigué en mer du Nord au cours des dix dernières années sont liés à des entreprises visées par ces sanctions. Malgré l’invasion de l’Ukraine, une centaine de ces navires sanctionnés ont continué à accoster dans des ports belges comme Anvers, Zeebruges et Ostende jusqu’à l’été 2023, bénéficiant d’exemptions pour des produits agricoles, alimentaires ou pharmaceutiques. Actuellement, un seul navire russe sous pavillon panaméen est autorisé à accoster à Zeebruges pour livrer du gaz naturel liquéfié.